Le mitraillage de la Gestapo par Longchamps

David


« I have done it » (Je l’ai fait !), s’est exclamé Jean de Selys Longchamps après le mitraillage de la Gestapo de Bruxelles.

Rien ne prédestinait au sous-lieutenant de cavalerie belge, devenu pilote, ce coup d’exploit dans la Belgique occupée de la Seconde Guerre mondiale. À bord de son avion, le Hawker Typhoon, Longchamps a imaginé un plan savamment orchestré et pour le moins audacieux. Comme d’autres infortunés compatriotes, une volonté de continuer le combat après la campagne des dix-huit jours * s’est forgée au point d’en devenir une obstination. Une de celles qui refusent la capitulation ou encore l’emprisonnement, et ce après avoir été dénoncé par les nouvelles autorités françaises au Maroc. Rejoindre les lignes anglaises va lui permettre de reprendre le combat et de résister jusqu’à ce moment fatidique. D’esprit indépendant, l’homme ne partait pourtant pas gagnant, mais sa trajectoire de résistant, elle, est bien réelle. Mais pourquoi un tel objectif ?

 


« L’impact de la mission de Jean de Selys sur la Gestapo de Bruxelles a été énorme […] Il a ravivé un sentiment national si nécessaire. » (Charles Dumoulin, résistant belge)


 

Jeunesse presque oisive, le futur baron de Longchamps passe par plusieurs collèges, de Saint-Michel à Maredsous, et rentre finalement à l’escadron-école du 1er Régiment des Guides dans les années 30. Un peu par dépit, orienté par son père vers un métier d’armes. Quatre années vont suffire pour le former et, surtout, lui donner le goût à cette nouvelle vie. Avec fracas, son service militaire est interrompu par l’invasion allemande du 10 mai 1940.

Bien qu’étant de rang subalterne lors de la campagne de Belgique, il participe aux combats de Gette, Lanaken, Lys ou encore à la jonction Meuse-Escaut. La capitulation belge est rapide et le pousse à rejoindre l’Angleterre. Sans perdre de temps, il poursuit la lute en France, mais le destin s’acharne : l’Hexagone tombe également face à la redoutable blitzkrieg allemande. En compagnie d’autres résistants belges, il souhaite s’embarquer vers Gibraltar, colonie britannique, ou le Maroc. La désillusion est alors totale ; l’effondrement moral est généralisé et, par-dessus le marché, son service n’est pas désiré. Arrêté par son zèle, les vichystes repèrent Jean de Selys et le renvoient illico en France, puis dans un camp d’internement près de Montpellier. Mal surveillé, il s’échappe, franchit les Pyrénées et atteint le Portugal.

 

 


« Lors de la bataille d’Angleterre, les aviateurs belges engagés ont comptabilisé vingt et une victoires. »


 

Que faire dans une telle situation ? Revenir au haut lieu de la résistance en Europe, l’Angleterre. Nous sommes à l’automne 1940. Longchamps se sent quelque peu piégé, notamment par son âge : à vingt-huit ans, il est déjà considéré comme trop vieux pour intégrer la Royal Air Force en tant que pilote de chasse. Qu’à cela tienne, il trafique ‘administrativement’ son état civil de quelques années et le voilà rajeunit, complètement apte pour le service.

À l’école franco-belge d’Odiham, il devient officier pilote de réserve dans la RAF en janvier 1941. La même année, il intègre la “609th Squadron“. Cet escadron aura l’opportunité de s’illustrer avec un palmarès de 100 “air-to-air kills” à bord des célèbres Spitfire pendant toute la durée des hostilités. En outre, ils seront les pionniers quant à l’utilisation de Hawker Typhoon dans le rôle d’attaque au sol. Perfectionniste, il se fait les dents à la défense sud de l’Angleterre, notamment aux côtes de la Manche et du Pas-de-Calais. Son appareil étant réellement efficace lors des opérations à basse altitude, et son aptitude à le manœuvrer lui servira d’ailleurs bien pour circuler adroitement à l’intérieur de la capitale belge.

Pendant de longs mois, il sera cantonné à des attaques de harcèlement de l’ennemi comme, par exemple, la perturbation de la circulation ferroviaire sur le continent. Mais un élément déclencheur va le pousser à sortir de l’ornière : cet évènement rejoint probablement le pourquoi posé en début d’article. Son père a été arrêté par la Gestapo pour “faits de résistance” et torturé à mort au siège de la Sipo-SD, police et service de sûreté allemand, antre de terreur des territoires occupés. Ses proches le confirmeront, a posteriori ; Jean a été mis au courant de l’incident.

 


« Il volait si bas que les chevaux de l’arc de triomphe du Cinquantenaire s’étaient cabrés sur son passage. » (propos de Longchamps rapportés par Raymond Lallemant, pilote belge de la RAF)


 

Après avoir passé par voie hiérarchique – qui ne répond pas à sa demande, Longchamps se décide à prendre les devants pour attaquer le bâtiment de la Gestapo. Situé au N° 453 de l’avenue Louise, l’immeuble n’est cependant pas isolé dans le paysage urbain mais se distingue des édifices attenants par sa hauteur de 11 étages. Les conditions climatiques enfin favorables, il se lance le mercredi 20 janvier 1943. Pour autant, ce jour-là, il devait simplement perturber le trafic ferroviaire entre Bruges et Gand. La mission remplie, il renvoie de manière bonhomme son ailier vers la base et part directement vers Bruxelles.

Le raid est risqué, d’aucuns diront suicidaire. Les minutes et secondes qui s’écouleront en rien de temps vont définir toute une existence. Pour déterminer sa trajectoire, plusieurs points de repères, monuments et bâtiments imposants, vont lui servir pour se guider au mieux vers sa cible. À chaque étape franchie, il suivra un parcours déjà tracé en amont. Le manche de son Hawker Typhoon bien en main, il aperçoit d’abord le Dôme du Palais de Justice. Longchamps prend alors la direction du Palais Royal, s’ajoutera l’arc de triomphe du Cinquantenaire comme prise de vue depuis son cockpit et, ensuite, l’hippodrome de Boitsfort.

Ce dernier relais franchit, il prend la direction nord-ouest. À 9h du matin, en pleine agglomération, les badauds n’en croient probablement pas leurs yeux : un avion lourdement équipé survole à très basse altitude la capitale. Longchamps réduit sa vitesse à 200 km/h, son objectif pointe finalement ses formes à environ 400 mètres. Il est précisément 9h05. Une poignée de secondes à peine, il arrose le bâtiment de plusieurs rafales en prenant soin de secouer son manche de gauche à droite afin de semer aussi le déluge sur la largeur. La mission non officielle est remplie. Il repart aussi vite qu’il est apparu et disparait dans un éclair de brouhaha.

 

 


« La guerre apprend à tout perdre, et à devenir ce qu’on n’était pas. » (Albert Camus)


 

On dénombrera plusieurs blessés et quatre morts, dont un gros poisson, le Sturmbammführer Alfred Thomas. Le maigre résultat ne portera pas tout de suite ses fruits. La presse collaborationniste n’en touchera mot, mais finalement le bouche-à-oreille est retentissant. Difficile d’éclipser les dégâts imposants (limités au seul bâtiment ciblé), et, bientôt, la nouvelle d’un aviateur belge qui aura mis le feu à la Gestapo circulera sous le manteau. Le résistant Charles Dumoulin en est sûr et certain : il a ravivé un sentiment national alors en berne.

À son retour, les choses se compliquent. Il sera sanctionné par sa hiérarchie, faute d’avoir eu l’approbation de ses supérieurs et perdra un galon, rétrogradé en tant que simple Flying-officer. Cependant, son acte, téméraire et courageux, lui permettra de recevoir la Croix du service distingué dans l’Aviation (Distinguished Flying Cross), le 31 mai 1943. Une ombre au tableau demeurera : un patriote, à l’intérieur du bâtiment, aurait succombé lors du raid. Ce dernier était porteur d’une liste d’un réseau de résistant. On sait aujourd’hui que le réseau Van Schelle avait été débusqué quelques jours avant l’attaque, nous dit Alain Colignon de la CegeSoma, quatrième direction opérationnelle des Archives de l’État belge.

Jean de Selys Longchamps ne verra pas la fin de la guerre. Dans la nuit du 15 au 16 août 1943, au retour d’un raid, son appareil endommagé va se briser en deux alors qu’il approchait la base de Manston. Un buste orne toujours l’avenue Louise à Bruxelles, là où son exploit de quelques secondes a défini un nom dans la petite histoire de la résistance belge.

 

 

* Campagne des dix-huit jours : début des hostilités allemandes avec l’invasion de la Belgique, le 10 mai 1940. Dix huit jours plus tard, le 28 mai, le Royaume capitule après s’être vaillamment défendu. La campagne a coûté la vie à environ 6 300 militaires belges.

 

Pour en savoir plus

Belgium WWII, Jean de Selys-Longchamps

Article La Libre, contribution externe

Article RTBF du 24 janvier 2023

Sujet Connexe

La Gendarmerie (française) sous l’Occupation, avec une introduction de Jean-Noël Luc