Le roman d’Héraclius

David

À tout oser le péril doit contraindre ; Il ne faut craindre rien quand on a tout à craindre. (1)

Les mots ciselés du poète Corneille ne peuvent que convenir à Héraclius (575-641), l’empereur byzantin qui a eu l’audace de s’attaquer au destin. Si Constantinople finira inéluctablement par tomber, un tour de force l’empêchera de sombrer trop tôt dans l’histoire. Et pourtant, il en fallut de peu pour qu’à l’aube du VIIe siècle de notre ère, l’empire romain d’Orient ne se désagrégea totalement.

 

Empire byzantin vers 600 (1) puis vers 650 (2).

 

Empereur méconnu de nos jours, son cheminement n’en reste pas moins hors du commun. Fils d’un gouverneur ; il prendra la place d’un empereur, combattra l’arme à la main, s’échappera d’une tentative d’assassinat, se déguisera en mendiant, portera un bout de bois de la “prétendue” croix du Christ et verra toutes ses conquêtes réduites à peau de chagrin. Si sa vie est littéralement un roman, c’est qu’elle a subsisté dans l’imagerie médiévale à travers sa piété. Plus tard, les peintres, de Jan de Beer à Miguel Ximenez en passant par les gravures du XIXe siècle, lui rendront un hommage appuyé.

(4) Tableau de Jan de Beer.

Les premiers exploits

Le jeune Héraclius, blond et aux yeux gris, est né en Anatolie orientale. Son père, d’origine arménienne, était gouverneur de la province romaine d’Afrique. Des troubles à Constantinople les incitent puis les obligent à revenir. En effet, l’incompétence de l’empereur Phocas est sur le point d’être fatal à l’empire romain d’orient. Les chroniques se feront acerbes pour un homme dont les erreurs n’ont pas été seulement de les continuer mais également de les aggraver.

En octobre 610, Héraclius jeta l’ancre au large de Constantinople. Au vu et au su de la situation, des mesures radicales s’imposent : il dépose aisément Phocas et se fait couronner empereur d’un État en ruines. La situation est catastrophique : occupé par des envahisseurs sur plusieurs fronts, Byzance est ravagée par des dissensions internes. Pour faire bref, les Slaves ont envahi la péninsule balkanique, les Perses occupent de vastes parties de l’Anatolie et le peuple des Avars exigent désormais un hommage.

Au-delà des menaces extérieures, un léviathan ronge les entrailles de l’empire : l’administration est désorganisée, l’économie exsangue et l’armée tient à peine debout, épuisée et démoralisée. Les troubles internes ne se limitent pas à des cas isolés, les paysans sont affaiblis par les exactions continuelles des envahisseurs et des dissensions religieuses sévissent au sein de l’orthodoxie. Et pour couronner le tout : l’autorité impériale est contestée par par une aristocratie puissante. L’empire romain d’Orient n’avait pas la force nécessaire pour expulser les envahisseurs, et peut-être même pas pour survivre.

Héraclius fut celui qui initia la militarisation de Anatolie. Pour ce faire, Il plaça les provinces anatoliennes sous la direction de gouverneurs militaires et accorda des concessions de terres non seulement aux soldats frontaliers, mais aussi aux soldats et aux paysans de l’intérieur, sous condition de service militaire héréditaire. Les effets étaient révolutionnaires. Une défense flexible développée en profondeur ; une paysannerie libre et militarisée est née.

L’agriculture étant relancée, l’État a été soulagé d’une grande partie du fardeau de la solde des troupes. Les mercenaires indisciplinés ont été largement remplacés par des soldats ayant un intérêt personnel à protéger l’empire.

(5) Tableau de Piero della Francesca.

 

Ersatz de chroniques

En 614, le Les Perses ont conquis la Syrie et la Palestine, prenant Jérusalem et ce que l’on croyait être la croix du Christ. En outre, dans un effort pour apaiser les Avars, Héraclius accepte de les rencontrer à Héraclée de Thrace (actuellement Marmara Ereğli, en Turquie) en 617 ou 619. Coup de tonnerre, c’est un piège ! Ils cherchent tout simplement à le capturer. Il retourne manu militari à Constantinople poursuivi par ses ennemis. Ignorant l’origine de leur perfidie, il finit par faire la paix avec eux et fut libre de prendre l’offensive contre les Perses.

En 622, vêtu comme un pénitent et portant une image sacrée de la Vierge, il quitte Constantinople, alors que les prières s’élevaient de ses nombreux sanctuaires pour la victoire sur les zoroastriens persans et de la récupération de la croix et la reconquête de Jérusalem. Cet acte de piété aura son importance dans la renommée posthume du souverain, notamment au-delà de ses frontières.

Dans une campagne brillante, il a manœuvré les Perses hors d’Anatolie et a suggéré une trêve au monarque persan. Cette offre, Khosro II (ou Chosroès, empereur sassanide) la rejette avec mépris, se référant à lui-même comme aimé des dieux et maître du monde. Il vocifère Héraclius et insulte le Christ comme incapable de sauver son empire agonisant. Conscient de la portée d’une telle déclaration, il diffuse la réponse de Khosro en public.

En 625, Héraclius se retire en Anatolie. Il avait campé sur la rive ouest de la rivière Sarus lorsque les forces perses sont apparues sur la rive opposée. Beaucoup de ses hommes se précipitèrent impétueusement sur le pont et furent pris en embuscade et anéantis par l’ennemi. Sortant de sa tente en toute hâte, Héraclius vit les Perses triomphants traverser le pont. Le sort de l’empire était en jeu. Saisissant son épée, il courut vers le pont et abattit le chef persan. Ses soldats ont fermé le rang derrière lui et repoussé l’ennemi.

En 626, les Perses s’avancèrent vers le Bosphore, espérant rejoindre les Avars dans un assaut contre les murs de terre de Constantinople. Mais les Byzantins ont coulé la flotte primitive des Avars qui devait transporter des unités perses à travers le Bosphore. L’énième assaut des Avars – peuple de cavaliers nomades – est repoussé.

Héraclius envahit de nouveau la Perse, et, en décembre 627, après une marche à travers les hauts plateaux arméniens dans la plaine du Tigre, il rencontra les Perses près des ruines de Ninive. Là, à califourchon sur son célèbre cheval de guerre, il tua trois généraux persans en combat singulier, chargea dans les rangs ennemis à la tête de ses troupes. Ultimement, il tua le commandant qui lui faisait face et dispersa l’armée perse.

Un mois plus tard, Héraclius entra dans Dastagird (actuellement en Irak) en grande pompe. Khosro II a été renversé par son fils, avec qui Héraclius fait la paix, exigeant en contre-partie le retour de la Croix, les captifs et le territoire perdu. De retour à Constantinople en triomphe, il fut salué comme, en autres, un Moïse, un Alexandre et un Scipion.

En 630, il rétablit personnellement la croix de l’ église du Saint-Sépulcre à Jérusalem.

Ces quelques repères chronologiques ne seront substitués une lecture plus approfondie de la situation de l’empire byzantin et des événements explicités à travers les exploits supposés d’Héraclius (cf. dossier PDF “Sources et références”).

(6) Chronique de Constantin Manassès sur la rébellion d’Héraclius

 

Un chemin de croix

Mais les succès finirent par s’estomper. Héraclius a tenté en vain de concilier une croyance théologique uniforme, le “monothélitisme”. En 634, épuisé par les affrontement et les années d’inquiétude au sein de l’Empire, il ne prend plus part au combat. Les forces byzantines sont ainsi vaincues dans une grande bataille sur le Yarmuk (636). Bientôt, la Syrie et plus tard l’Égypte sont tombées aux mains des Arabes.

La vie personnelle de l’empereur se voit bouleversée, peu de temps avant son trépas, avec le décès de sa première épouse, Fabia Eudocia. De fait, il épousa sa nièce, Martina, offensant par la même occasion ses contemporains, vitupérant Héraclius comme incestueux. Souffrant, peut-être atteint d’une hypertrophie de la prostate, d’une rétention d’urine, une inflammation se déclara. Après de violents spasmes, Héraclius meurt en février 641. La date précise reste incertaine.

Chef militaire inspirant à la fois une ferveur religieuse et une intrépidité personnelle, Héraclius avait le souci constant de ses hommes. Stratège prudent et calculateur, il a fait des guerres moins inhumaines que la plupart de ses contemporains. Il n’a pas asservi ni massacré les habitants des villes conquises. De même, il libérait les prisonniers, au lieu de les faire mourir de faim.

Sa piété est d’ailleurs louée avec cette anecdote : en 623 ses soldats victorieux voulurent pénétrer plus profondément en Perse, contrairement à son projet de se retirer ; ainsi, il renvoya l’affaire à Dieu. Après que ses troupes eurent jeûné et prié trois jours, il ouvrit la Bible en leur présence, apparemment au hasard, et lut un passage qui ne pouvait être interprété que comme un ordre divin de se retirer. Le monde médiévale ne pouvait qu’être réceptif à cette attention.

Le joyau de Byzance a ainsi résisté aux assauts répétés du monde extérieur, et a probablement sauvé l’empire byzantin, le permettant in fine de tenir jusqu’à 1453.

 

 

Sources et références :

(1) Pierre Corneille, Heraclius, Act I, Sc. V.
– L’illustration de l’article est un médaillon à deux faces représentant l’empereur romain Héraclius au VIIe siècle, dont on pense qu’il a été modelé sur l’empereur Manuel II Palaiologos (réalisé en – France vers 1400), Museum of Fine Arts de Boston
– Chronique de Constantin Manassès
L’Empereur Héraclius Et L’Empire Byzantin Au VIIe Siecle, Ludovic Drapeyron
– Larousse
– Universalis