Les dates clés de l’archéologie

David

« Supposons que Sparte soit dévastée et qu’il subsiste seulement les temples avec les fondations : après un long moment, sa puissance soulèverait, je crois, par rapport à son renom, des doutes sérieux chez les générations futures ». (1)

L’avertissement de l’historien athénien Thucydide est sans appel : entre la légende racontée, voire altérée à travers les siècles et la réalité, un fossé béant peut surprendre tout un chacun. Et, comme nous allons le voir, l’archéologie – discipline désormais scientifique – a subi des transformations dans sa façon d’étudier et d’analyser le passé.

Découvrons aujourd’hui plusieurs dates clés qui ont fait de cette discipline balbutiante avec des partis pris contestables, une rigoureuse méthode scientifique aux nombreux prérequis. Un long chemin a été nécessaire pour en arriver là où elle est, tout en sachant pertinemment que la mue est encore loin d’être terminée. La sera-t-elle d’ailleurs un jour ?

Pour s’en convaincre, il faut placer des balises de sécurité : le choix d’une année fondatrice est quelque peu biaisée et ne remporterait pas forcément une unanimité. Si bien évidemment la recherche du passé à travers les monuments et textes anciens a souvent été utilisée pour asseoir une légitimité dans un contexte donné, le XVIe siècle a le mérite de poser un acte précis et détaillé de notre sujet.

 

Les vestiges de Rome

En 1573, on peut dire sans prétention qu’une première facette de l’archéologie (dans son acceptation moderne) est née à Rome. En effet, les papes vont interdire la destruction des vestiges exhumés dans les recoins et sous-sols antiques. C’est ainsi que le Vatican va nommer un commissaire aux Trésors, aux Antiquités mais aussi aux Mines. D’emblée, il est intéressant de voir que l’archéologie est une méthode de sauvetage à défaut d’analyser ou encore de contextualiser : la ligne de conduite est lancée, il faut commencer à préserver quand bien même les méthodes utilisées pourraient surprendre de nos jours.

Les découvertes se feront au rythme des travaux d’aménagement urbanistique. Bien plus tôt en début de siècle, le groupe du Laocoon (2), copie romaine d’un bronze hellénistique (40/30 av. J.-C.), sera découvert en 1506. Le chef-d’œuvre de l’Antiquité ne pouvait laisser indéfiniment indifférent.

L’émulation romaine se fera progressivement en parallèle d’autres pays européens. Si Jean-Baptiste Colbert est connu comme ministre de confiance de Louis XIV avec son importante politique économique qui a contribué à accroître le rayonnement de la France, il était également un touche-à-tout, notamment dans le domaine de la “préservation”. En 1663, il décide la création de l’académie des Inscriptions et Belles Lettres chargée de collationner des textes sur les monuments et plus généralement sur les objets, colifichets et manuscrits du passé.

Tout cela ne va pas s’en risque : quelques décennies plus tard à peine – sous le règne de Louis XV -,  les abbés François Sevin et Michel Fourmont sont envoyés à Constantinople et en Grèce dans l’optique de recueillir des manuscrits grecs. Si l’intention est louable, le procédé des fouilles en deviendra préjudiciable, car l’abbé Fourmont pratiquera des destructions ainsi que de nombreuses mystifications. Il fournira lui-même la raison de ses actes :

« C’est une carrière de marbres que je dois fouiller sans scrupule. Si en renversant ses murs et ses temples, si en ne laissant pas une pierre sur une autre […], son lieu sera dans la suite ignoré. Je n’avais que ce moyen là pour rendre illustre mon voyage de Morée qui aurait été sans cela tout à fait inutile, ce qui ne convient point ni à la France, ni à moi. » (3)

Pour en savoir plus sur ce sujet : La Grèce antique fantasmée : du mythe à la réalité historique

 

Les premières approches scientifiques

En 1784, à Arles, dans la plus fameuse ville gallo-romaine, est créé le premier Musée archéologique français. La passion va ensuite gagner l’Angleterre, où les particuliers constituent, en autres, des cabinets de curiosités. Mais qu’en est-il exactement ?

Ils apparaissent à la Renaissance, dans la seconde moitié du XVIe siècle, pour former un ensemble d’objets hétéroclites, d’abord par curiosité puis par volonté de mieux saisir l’infinie diversité d’un monde aux ramifications complexes. Initialement élitiste, la classification d’animaux empaillés, de bibelots, ornements ethnographique ou minéraux cristallins vont s’accentuer pour des raisons prosaïques : à une époque où la découverte du monde n’est pas accessible à tout un chacun, ces cabinets de curiosité vont servir de petits musées.

Jusqu’à alors, nombre ecclésiastiques et de notables regroupaient lesdits trésors à des fins esthétisantes ou dans le cadre de projets encyclopédiques. Mais retirer sans précaution un objet de son lieu de découverte entraîne de facto une perdition d’éléments nécessaires à sa compréhension dans un environnement donné. Son cheminement, les possibles dégradations en cours de route ou encore la mauvaise interprétation donneront au public mais aussi aux spécialistes des données erronées, forcément mal comprises.

“Encore aujourd’hui, des erreurs et/ou des intentions idéologiques subsistent sur la perception de l’Antiquité grecque à travers l’art. Ici, un manuel scolaire dépeint, dit-on, un “esclave battu”. En réalité il s’agit d’un Égyptien (perçu comme tel) au sexe circoncis. Dans le manuel, tout est pudiquement effacé et la légende faussée.” (4)

 

Certaines voix s’élèvent alors contre la pratique et la manière de prospecter sur des sites historiques. En 1794, l’abbé Grégoire dénonce le vandalisme et recommande la conservation de tous les objets et sites anciens.  L’historien Legrand d’Aussy émet l’idée d’un inventaire systématique des découvertes. Il ne va d’ailleurs pas s’arrêter en si bon chemin.

Il procède par étapes, d’abord dans la rédaction d’un état des lieux, fait un recensement des antiquités par régions et organise une liste de fouilles par hiérarchie d’importance. Enfin, il met en œuvre des précautions contre le vol éventuel d’objets précieux par les ouvriers. Derrière cet aspect centralisé, le respect de la propriété privée où se trouve la fouille n’est dès lors plus garantie.

Pour éviter des déconvenues sur l’authenticité des recherches, il applique des scellés, tient un procès-verbal sur les travaux en cours et oriente la procédure en faisant appel à des spécialistes (chimiste, anatomiste, etc). La pluridisciplinarité d’une étude de champ d’investigation sera réellement acquise que des décennies plus tard, mais l’avancement scientifique y est déjà considérable.

Une première classification chronologique des sépultures des premiers âges commence tout doucement à se mettre en place. Enfin, il réclame à ce que les démarches de fouilles qui ont permis d’exhumer une zone ne doit pas être détruite, intégrant ainsi une politique de conservation et une éducation du public à ce sujet. L’exposition d’un grand nombre de pièces deviendra systématique. Des indices muséo-graphiques y seront imaginées (mannequins pour présenter les costumes et bijoux, etc). (5)

En 1822, l’archéologie nécessite le déchiffrement des écritures anciennes. Jean-François Champollion y parvient avec les hiéroglyphes de la pierre de Rosette rapportée par l’expédition d’Égypte.

Premier à déchiffrer les hiéroglyphes et père de l’égyptologie, le grand auteur Chateaubriand dira de Champollion : « Ses découvertes auront la durée des monuments immortels qu’elles nous ont fait connaître ». Un an après sa découverte, l’ouvrage richement illustré “Panthéon égyptien, collection des personnages mythologiques de l’ancienne Égypte, d’après les monuments ” nous fait découvrir la mythologie égyptienne à un public stupéfait. (6)

Les fouilles des sites historiques, amplifiées par les récits et écrits des auteurs antiques, nous donneront des surprises bienvenues, à l’instar de la cité de Pergame. L’archéologue allemand Carl Humann usera de son influence pour éviter la destruction des ruines de marbre partiellement exposées dans les fours à chaux.

Pour en savoir plus sur ce sujet : Carl Humann, l’homme qui sauva Pergame.

Carl Humann (à gauche) et Richard Bohn devant les salles du sanctuaire d’Athéna avec les statues d’Athéna et d’Héra.

La modernité contre les affres du temps

Si le XIXe est le siècle d’importantes découvertes archéologiques, elles s’opéreront souvent dans un cadre de multiples spoliations et de rivalités sur fonds d’enjeux géopolitiques. Nombre de régimes qui suivront le début du siècle suivant, dites des grandes idéologies, iront jusqu’à fantasmer des origines et filiations pour le moins ubuesques.

Viendront alors deux avancées scientifiques modernes considérables. En 1937, le Britannique Mortimer Wheeler invente les fouilles en quadrillage. Le terrain est divisé en carrés égaux séparés par des banquettes, ou bermes, auxquelles on ne touche pas : elles permettront de lire la succession des couches, ou stratigraphie. Il ne s’agit plus seulement de récolter les objets mais de comprendre, grâce aux vestiges, l’organisation humaine de l’espace étudié.

En 1947, le chimiste américain Willard Frank Libby, qui a travaillé au sein du projet Manhattan de fabrication de la bombe atomique, met au point la datation par le carbone 14. Comment cela fonctionne-t-il ?

Le dioxyde de carbone atmosphérique doit donc renfermer de très petites quantités de carbone 14, qui entre dans les cycles du carbone et du dioxyde de carbone et, de là, dans la chaîne alimentaire par assimilation par les plantes et les animaux. Lorsqu’un organisme vivant meurt, l’incorporation de carbone 14 cesse, et la quantité qui est alors présente se décompose à une vitesse donnée par les lois des décompositions radioactives.

En comparant – à l’aide d’instruments particulièrement sensibles – la quantité de carbone 14 présent dans des échantillons anciens (tissus, bois, momies, etc) et celle donnée dans des échantillons récents correspondants à des objets semblables, on peut calculer le temps écoulé depuis la fin de l’assimilation de carbone 14. Cette méthode, testée avec des objets dont l’âge était connu, s’est révélée alors très fiable. Cet outil donne des résultats efficaces sur des matériaux de l’ordre de 5 000 ans et encore relativement pertinent jusqu’à 50 000 ans. (7)

Aujourd’hui, l’archéologie dite moderne s’intéresse moins aux textes antiques pour se concentrer davantage vers les recherches directement sur le terrain. De nombreuses disciplines s’agglomèrent et les techniques plus perfectionnées comme la micromorphologie (qui permet d’étudier les couches de sédiments en laboratoire) ou encore l’étude ADN sur les sédiments permet de recueillir de précieuses informations sur le terrain de fouille. Rappelons que la fouille archéologique est un procédé destructif par essence.

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Retour en Grèce

Nous sommes maintenant en 2021. Une importante fouille sur l’île d’Eubée (Grèce) a permis de mettre au jour les restes du temple d’Artémis Amarysia. Nous allons passer en revue la manière dont la fouille s’est effectuée.

Sanctuaire recherchée depuis un siècle, il n’a été officiellement retrouvé qu’en 2017 par des archéologues de l’École suisse d’archéologie en Grèce. Tout d’abord, l’étude critique des textes anciens nous permet aujourd’hui d’éviter une approche trop au pied de la lettre. C’est là qu’intervient Denis Knoepfler, professeur honoraire du Collège de France.

Les écrits de deux géographes de l’Antiquité, Strabon (1er siècle av. J.C.) et Pausanias (2e siècle apr. J.C.), ont confirmé l’existence du sanctuaire en question. L’ouvrage de Strabon retient son attention, mais il remarque qu’une erreur s’est glissée dans le nombre de « stades », l’unité de mesure de l’époque. Deux lettres se ressemblent (“ζ” et le “ξ”), d’où un souci de localisation. Était-ce un problème de vue du copiste ? Nous ne le savons pas. Après les tâtonnements sur le terrain en 1969, cette rectification de texte permettra de présenter une solide hypothèse en 1988 et, in fine, sera confirmée en 2017 avec la découverte d’une tuile portant l’inscription « Artemidos » (possession d’Artémis) au nouvel emplacement indiqué.

Un site archéologique est également soumis aux actualités contemporaines, et celui d’Amárynthos ne fait pas exception à la règle : les mesures contre le Covid-19 et les catastrophiques incendies pendant l’été 2021 n’ont en rien aidé à la prospection au sein de l’Eubée. En outre, pour pouvoir mener des recherches en Grèce, il faut acquérir des terres et des moyens. Des prospections géophysiques ont été menées pour ausculter les anomalies dans les dénivelés.

Coup de chance en 2006 : un bloc antique avait été illégalement déménagé lors de la construction d’une villa dans ce secteur. En 2007, le dernier jour des fouilles, un coup de truelle a révélé les fondations monumentales dans la stratigraphie d’un sondage. Les travaux furent néanmoins stoppés pour des raisons de propriété privée. Loin de laisser tout en plan, il a fallu reboucher les trous effectués et prendre son mal en patience. L’équipe a analysé l’évolution du paysage antique. Pour cela il fallait revenir derechef aux sources antiques : les sanctuaires d’Artémis sont généralement localisés en bordure de marais. L’idée a germé de s’atteler à la recherche des marais antiques à l’aide de carottage pour délimiter l’espace du sanctuaire.

De retour sur le site en 2012, il n’y avait pour autant pas une confirmation en bonne et due forme du sanctuaire d’Artémis Amarysia. De nombreux bâtiments furent dégagés sur plusieurs kilomètres carrés jusqu’à la fameuse tuile, en plus d’inscriptions trouvées tout près. Les recherches chronologiques ont permis de comprendre que le temple avait détruit et reconstruit : ainsi deux temples se superposaient. Si la destruction des blocs, marbres et statues ont disparu (dans les fours à chaux), le remploi à l’époque byzantine pour reconstruire des maisons et chapelles a également laissé le temple à nu. Heureusement les fondations (couches, dépôts et fosses) ont été préservées. (9)

Six cents objets s’offrent ainsi nous : récipients en terre cuite et en bronze, des figurines peintes en terre cuite, un casque et un bouclier, des bijoux en or, argent, faïence, verre et pierres semi-précieuses ou encore des sceaux en forme de scarabées. Il faudra maintenant étudier et restaurer précautionneusement lesdits objets, plusieurs longues années en perspective… Un jour de fouille requiert vingt jours d’études. L’archéologie est décidément une science qui nécessite la patiente.

 

Figurine en terre cuite femme assise, sanctuaire Artémis Amarysia

Figurine en terre cuite femme assise, sanctuaire Artémis Amarysia

Sources et références