Sienne, l’éternelle cité médiévale
© Bachir Moukarzel
Cité médiévale par excellence et rivale de Florence sur le plan urbain, Sienne, en Toscane, a inscrit le beau dans la loi. Au XIIIe siècle, une réglementation va empêcher l’enlaidissement des quartiers. Les habitants ont ainsi farouchement conservé l’aspect de la ville imaginé entre le XIIe et le XVe siècle. A son heure de gloire, quand les frères Lorenzetti et Simone Martini rayonnaient dans les arts, Sienne, construite autour de la Piazza del Campo, a été conçue comme une véritable œuvre d’art intégrée au paysage environnant.
Quand on regarde les vues aériennes de la ville, les courbes sinueuses ne laissent entrevoir ni quadrillage ni plan radial que l’on associe bien souvent aux établissements d’origine romaine. Depuis 700 ans, la rivale de Florence n’a que très peu changé. La topographie chaotique de Sienne nous décrit les batailles et conflits – bien après l’Antiquité – entre les potentats, les évêques et le pouvoir communautaire émergeant. Comme point de repère, la Piazza del Campo en forme de coquille Saint-Jacques.
Les bâtiments qui l’entourent sont typiques du style gothique qui dominait alors l’architecture civile italienne en ce début des années 1300. Sous le « gouvernement des Neuf » (1287-1355), la fortune des nantis (banquiers, marchands) vont s’associer aux artistes locaux.
© Al Hurley
Dès la fin du XIIIe siècle, une législation se met en place pour sa préservation. Après 1359, l’Ufficio del’Ornato (bureau de l’ornementation) est chargé de surveiller les choix du particulier en fonction de la beauté de la ville. Très actif au XVe siècle, l’office attribuait des postes aux privés dans l’administration publique afin qu’ils aient moyen de rénover leur maison en fonction des critères de beauté de Sienne.
Fort de 50 000 habitants au XIVe siècle (similaire à Londres), Sienne était une grande ville européenne. Sans explosion démographique, la ville a su garder – aujourd’hui encore – un aspect proche de ce qu’elle a été, il y a 700 ans. Face à Florence, sa rivale, et empêtrée dans le conflit entre Gibelins (parti qui soutenait l’empereur) et Guelfes (parti en faveur du pape), Sienne accumule les conflits et escarmouches. Mais au-delà du combat, la rivalité va aussi devenir une lutte urbanistique.
À titre d’exemple, le Palazzo Vecchio de Florence est une réponse au Palazzo Pubblico de Sienne, son palais communal. À l’inverse, lorsque les Florentins décident de reconstruire leur cathédrale, les Siennois agrandissent la leur. Ce jeu d’émulation intervient dans les édifices publics et/ou religieux de la ville. Située sur une route qui relie le nord de l’Europe à l’Italie centrale, Sienne est d’ailleurs un lieu de passage des pèlerins vers Rome.
Le gouvernement des Neuf a impliqué le plus grand nombre de possible de citoyens dans la chose publique. Les “Neuf” occupaient leur poste par rotation de deux mois, notamment parmi les marchands et artisans. La grande noblesse en était exclue. L’embellissement de la ville est une conjonction heureuse entre la participation active du citoyen et la floraison économique de la région, et ce après des décennies de disette.
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En 1309, dans un souci d’homogénéité, une réglementation impose aux édifices privés une façade en brique afin de contribuer à la beauté de la ville. Après la chute du gouvernement des Neuf, Pandolfo Petrucci (1512) s’empare de la République siennoise. Régime princier, il remanie des résidences pour accueillir, avec faste, les souverains (Sigismond de Luxembourg, Frédéric III et surtout le pape Pie II).
Dès lors, des réalisations d’envergure (palais, loggia) contraint la commune a mettre en place une politique d’embellissement, à travers l’office de l’Ornato. De riches mécènes (comme les Bichi ou les Pecci) s’ingénient à dominer via une oligarchie dite éclairée. Dans l’ouvrage” Sur l’origine de la ville de Sienne” (1480), Agostino Patrizi cherche à donner à la cité un passé éclatant en recourant à l’Antiquité romaine, et ce sans rompre avec les traditions gothiques.
Ce goût du beau est surtout dominé par l’artère prestigieuse de Sienne, la via del Capitano. Néanmoins, au milieu du XVIe siècle, la fin de l’indépendance siennoise est actée en intégrant le grand duché de Toscane. Marginalisée, Sienne a été ainsi moins transformée dans ses formes urbaines. La population siennoise a gardé une identité très forte ; les monuments et la forme de la ville en sont l’expression. La volonté politique également. Le centre ancien est toujours protégé.
« C’est en Toscane que s’est réalisée, à un certain moment de son histoire que nous pouvons situer entre 1300 et 1500, une des réussites majeures de l’homme (…). Nulle part, la culture et l’art ne se sont associés aussi intimement à la vie quotidienne du peuple jusqu’à devenir sa nourriture spirituelle (…). En Toscane, en effet, on a l’impression que le chef-d’œuvre est une sorte de création collective à laquelle tout concourt, le paysage, l’atmosphère, la qualité de la lumière et de l’air, le caractère de la race, les institutions, même, et le comportement. » Marcel Brion, l’Italie.
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Sources et bibliographie
Toutes les informations de ce fil proviennent de Michele Tomasi, professeur ordinaire d’histoire de l’art médiéval à lʹUniversité de Lausanne.
Le Temps des Italies : XIIe-XIXe siècle, Jean Boutier et Sandro Landi
Les villes italiennes – XIIe-XIVe siècle: XIIe-XIVe siècle, François Menant